Même en terre

Editions Grasset, Paris
avril 2012

ISBN 2246798205
EAN 978-2246798200


Prix Schiller 2011
->Laudatio



"Il se penche sur chaque tombe dont il a reçu la charge pour enlever les gerbes fanées, essuyer les chiures, redresser les bougeoirs de plastique rouge. Il renforce aussi les camélias et autres rhododendrons qui tapissent ces antichambres du repos. Puis il va chercher les seaux qu'il a disposés en retrait de la haie qui délimite le quartier N2 pour récupérer l'eau acide des pluies. Pour un peu, il siffloterait en travaillant."


Echos : 

Etrange roman que vient de sortir Thomas Sandoz. [...] Minéral et tendu, poétique, sensible, touchant et délicat [...]
Claire Castillon (L'Echo Républicain, 8 juin 2012)

[...] Thomas Sandoz écrit avec une délicatesse de dentellière. La souffrance reste contenue, prise dans les plis d'une étrange mélopée. Magnifique. 
Michel Audétat (L'Hebdo, 3 juin 2010)

Rien de moins macabre que ce luxuriant Kindertotenlieder, cette oraison au "pays des hommes couchés". [...] Ce pourraît être un chant désolé, ou un plaidoyer pseudo-religieux en faveur de la réincarnation : c'est une levée de lauriers-roses. Sandoz sourit aux chrysanthèmes comme Rimaud aux edelwiss et au wasserfall, avec leur féérique résonance rhénane. 
Vincent Landel (Le Magazine Littéraire, juin 2012)

Un récit riche, poétique, incontournable. Des mots comme des brumes qui soulèvent nos émotions et bousculent nos craintes.
Bertrand Schmid (oct. 2014, http://litterature-romande.net/meme-en-terre-thomas-sandoz/) 

La poésie et la retenue de la langue bouleversent, tandis que l'on s'aventure avec délicatesse dasn ce jardin silencieux. Un sujet difficile traité avec une grande pudeur. 
SFL-leblog.com

La vie qui côtoie la mort en permanence et qui s'exprime d'une manière très naturelle, presqu'organique, et très lumineuse aussi.
Geneviève Bridel (RSR La première, Quartier livres, 1er mai 2010)

Ecriture efficace. Peu à peu se révèle le déclin du jardinier: très fort.

Eléonore Sulser (Espace 2, Zone Critique, 30 avril 2010)

Pour le lecteur, c'est une plongée dans un décor infiniment triste, mais jamais morbide. Un roman étrange, mêlant la poésie à une question existentielle, la mort des enfants, qui reste chargée d'émotion trop souvent refoulée.
Bernadette Richard (L'Hebdo Salon du livre, avril 2010)

On se prend au jeu. On fait silence en observant la douce tragédie qui se joue là, chapitre après chapitre. Pour un peu on veillerait presque avec le jardinier, là-bas, au fond du cimetière municipal, dans le quartier des enfants morts.
Jacques Sterchi (La Liberté, 1er mai 2010)

Ce sont surtout les visions hallucinées des enfants morts qui m'ont marqué.
Sylvie Tanette (Espace 2, Zone Critique, 30 avril 2010)

Avec une complaisance étrange, le lecteur lui-même se place volontiers du côté des morts et  clame, avec Sandoz, qu’il ne faut, « même en terre, ne jamais abandonner un enfant ». L’adhésion progressive à cette perspective constitue une des dimensions les plus troublantes du roman. [...] Cette réflexion sur la sacralité de la mort constitue sans conteste l’une des plus grandes forces du roman de l’auteur neuchâtelois couronné du prix Schiller 2011. Le lecteur qui prendra le temps de s’y arrêter trouvera une expérience à la fois belle et troublante sur son rapport à la mort et à l’enfance.
Guillaume Kaufmann (Les Lettres et les Arts, 14.10.2012)


Avec des mots chantants sans pourtant être joyeux, entre allitérations et assonances, des phrases sobres et courtes s'acoquineant souvent à la poésie, Thomas Sandoz décrit le drame auquel chacun de nous peut un jour être confronté. [...] L'écriture de Thomas Sandoz, à la troisième personne, exclut le lecteur et lui donne valeur d'observateur. Ce mode opératoire évite le larmoyant et c'est la force de ce récit.
Julie Seuret (Le Quotidien Jurassien, 15 mai 2010)
 













Couverture de la première édition (épuisée)
réalisée par Mandril (www.mandril.ch)
Début du livre :

Primevère

Elle arrive un matin de février. Elle n'est pas sa première souffrance, et pourtant elle précipite son isolement. Elle a été installée dans la partie inférieure de la nécropole. Un territoire maudit sans véritables limites, réservé aux enfants. En son centre géographique se dressent une vasque ronde momentanément vide et une poubelle grillagée. Au sud, un pavage mangé d'herbe dessine des arcs inachevés. Quelques arbrisseaux et basses haies forment des cloisons perméables autour des étroites sépultures.

La cérémonie se prolonge et le chagrin s'épuise. La famille endeuillée s'attarde au bord de la fosse pendant que la foule des témoins s'éparpille posément. Des groupes rejoignent directement les aires de stationnement au nord-est du cimetière, d'autres se laissent étourdir par le labyrinthe des buissons et des chemins étroits.

Il n'a pas demandé à travailler ici. Il connaît par cœur les jardins publics de la ville qu'il a soignés vingt ans durant. Un matin, il a été de trop. Loin du droit à la retraite, il s'est retrouvé dans ce havre à la lisière de la cité. Les trois premiers jours, il n'a pas su reprendre son souffle. Un mois a passé. Il ressemble désormais aux hêtres décharnés qui l'entourent, gibets dressés dans l'hiver finissant. Ses doigts mêmes ont la texture torturée des branches nues.

Bien plus tard, lorsque tout le monde est parti et que les fossoyeurs ont terminé leur devoir, il s'approche du rectangle foncé. Les couronnes et bouquets ne parviennent pas à dissimuler la terre, cette terre qui semble plus sombre ici qu'ailleurs. Les bras ballants, il chuchote quelques mots de bienvenue. Puis, la main ouverte, il lui montre des mottes traçant une cicatrice dans le gazon parsemé de crocus. Elle n'est pas seule, elle ne doit plus pleurer. Il veillera.

Il sort de sa poche un bloc-notes taché de tourbe. Elle sera pour lui Primevère. Dès qu'il le pourra, pour rappeler ce matin de vieilles glaces, il repiquera des plants déjà lumineux. Comme pour les autres tumulus de cette ligne, il enrichira l'humus à sa façon, en dépit des habitudes, du règlement et de cette lâcheté qui se fait passer pour de l'oubli. Il ajoutera pour commencer des heuchères et des belles-d'un-jour, puis en temps voulu des aubriètes et des pensées. Il ne laissera pas la négligence mener le jeu.

Depuis une terrasse herbeuse, un collègue en quête d'aide le siffle. Il fait mine de ne pas entendre, évite de tourner la tête vers les pyramides de copeaux qu'il faut disperser sur la terre meuble. L'autre insiste. Las, il répond alors d'un bref signe du bras. Il viendra terminer les présentations un peu plus tard. Avant de s'éloigner, il lui promet une fois encore que rien, jamais, ne les séparera.

[...]