La vraie nature de l’homéopathie


Presses Universitaires de France, 2001
Collection « Science, histoire et société »
150 x 217 mm - 216 p.
ISBN 2-13-051698-X

Quatrième de couverture

On dit de l’homéopathie qu’il s’agit d’une médecine douce. On l’a souvent présentée comme une médecine alternative. Aujourd’hui on la tient plus volontiers pour complémentaire de la médecine scientifique moderne. La vente de ses produits dans les pharmacies renforce encore cette idée.

Cet ouvrage retrace l’histoire de cette doctrine et des pratiques qu’elle a pu inspirer. Au cours des deux cents ans qui ont suivi l’oeuvre fondatrice de l’érudit allemand Samuel Hahnemann, on a vu la thérapeutique des « hautes dilutions » se présenter comme un système de pensée, pièce maîtresse d’une véritable conception du monde de tonalité vitaliste, fort hostile à la médecine.

Aujourd’hui, elle revendique des titres de scientificité et ses adeptes la veulent intégrée à la grande tradition médicale. Mais n’est-ce pas au prix d’une profonde méprise ? Évaluée à l’aune de l’histoire de la médecine et des sciences, de la pharmacologie et de l’anthropologie médicale, la vraie nature de l’homéopathie se dévoile.

Depuis une trentaine d’années, profondément marquée par les mouvements de spiritualité écologiste, son succès est celui d’un rituel de conjuration profane permettant de faire face aux incertitudes que suppose tout mal-être.

L’essentiel des débats qui opposent les partisans et les adversaires de l’homéopathie et les conflits qui déchirent ceux qui y « croient » et ceux qui n’y « croient » pas, s’en trouvent éclairés.

Car l’homéopathie peut très bien être efficace, sans que cette efficacité soit du même type que celle de la biomédecine, sans que leurs bases théoriques soient en aucun sens comparables.

Préface in extenso

[tous droits réservés PUF]

DEUX SIÈCLES DE CONTROVERSES

Depuis deux cents ans, l’homéopathie est perçue en Europe occidentale comme une « médecine » à part entière. Ses qualifications contemporaines de « complémentaire », de « douce », d’« alternative » ou encore, plus négativement, de médecine « placebothérapeutique » ou « charlatanesque », ne sont pas sans fortifier cette proximité avec l’art médical de guérir. Or il se pourrait que l’affiliation actuelle de l’homéopathie à la biomédecine résulte d’une méprise quant à la spécificité de l’homéopathie. Cette méprise tiendrait d’abord au fait que, depuis sa fondation, la « thérapeutique des hautes dilutions » conçue à la fin du XVIIIe siècle par l’érudit allemand Christian Friedrich Samuel Hahnemann n’a cessé d’être l’objet de différends entre représentants de l’Académie et praticiens non orthodoxes, enfermant la controverse dans le cadre médical.

La position de l’homéopathie sur l’échiquier des activités humaines n’est certes pas transparente et, de tout temps, les passions se sont déchaînées autour de la doctrine thérapeutique de Hahnemann. On peut dès lors difficilement suivre la rassurante publicité des Laboratoires Boiron, industrie pharmaceutique dominant actuellement le commerce des remèdes homéopathiques, lorsqu’elle soutient que « De nombreux débats polémiques ont eu lieu depuis deux siècles et quelquefois encore aujourd’hui. Et pourtant ces querelles sont dépassées. »[1] Au contraire : l’opposition à la médecine orthodoxe est le fondement même de l’homéopathie. L’ensemble des discours, livres, conférences et autres présentations de l’homéopathie servent d’ailleurs clairement une stratégie visant à situer la thérapeutique des hautes dilutions par rapport au groupe des disciplines médicales.

Pour reprendre les termes de l’historien Olivier Faure, « (...) l’homéopathie est un révélateur profond et un observatoire privilégié des mutations considérables que connaissent les attitudes et les comportements sanitaires dans les deux derniers siècles. » [2] Fort de cette remarque, il s’agit alors d’opérer une analyse critique des « prétentions » de l’homéopathie en étudiant les thèmes récurrents formant le noyau de la doctrine. Quel est en effet le visage de l’homéopathie contemporaine et comment comprendre sa forte présence sur le marché des soins? Pour le savoir, il convient de comprendre l’originalité historique et thérapeutique de la doctrine homéopathique en questionnant les quatre thèmes principaux qui organisent son discours et sa pratique : l’indépendance supposée de la thérapeutique par rapport à la médecine orthodoxe, la singularité du remède homéopathique, la spécificité de la rencontre thérapeutique et l’efficacité de l’homéopathie habituellement exprimée par la locution « ça marche ».

Si l’habitude veut que toute discussion autour de l’homéopathie se concentre sur la question de son efficacité, la problématique doit être d’emblée élargie en formulant d’autres questions sous-jacentes : quels sont les moyens d’action de l’homéopathie contre la maladie? Pourquoi se dit-elle plus respectueuse de l’organisme que d’autres thérapeutiques? Qu’est-ce qu’une pharmacologie sans effets secondaires? L’épreuve du doute oblige à cheminer plus longuement encore : quand doit-on admettre qu’une croyance est juste ou justifiée? Et surtout, qu’est-ce qu’une médecine?

Différentes disciplines sont réunies ci-après dans l’objectif de dresser un tableau comparatif des ambitions de l’homéopathie hahnemannienne, de l’homéopathie contemporaine et de la biomédecine. Dans un premier temps, les références médicales sont omniprésentes. Sans espoir d’exhaustivité, il est fait appel notamment à l’histoire de la médecine (où et dans quel contexte scientifique et médical l’homéopathie naît-elle?), à la sociologie médicale (à quelles préoccupations sociales l’homéopathie, comme thérapeutique non orthodoxe, correspond-elle?), à la psychologie générale et la psychologie médicale (comment le plus grand nombre fait-il face aux tumultes de la santé?), à l’éthologie humaine et l’anthropologie médicale (en quoi les outils utilisés pour contrer la maladie sont-ils partagés par les membres d’une même communauté?).

Dans un second temps, en vue de souligner la spécificité de l’homéopathie contemporaine, différentes disciplines non médicales des sciences sociales sont convoquées. Plus précisément, la question proprement médicale est effacée au profit d’une réflexion sur ce que signifie, du point de vue notamment pratique, social et psychologique, se soigner à l’homéopathie. Autant que faire se peut, un regard distant est posé sur les pratiques et les discours en admettant comme a priori que les partisans de la thérapeutique des hautes dilutions « font » bien plus qu’ils ne le supposent ou le disent.

La présente étude, en bref, veut montrer que l’homéopathie contemporaine ne relève pas de la médecine conventionnelle (symbolisée par la pratique des généralistes), encore moins de la biomédecine (symbolisée par la médecine hospitalière), mais de ces actions thérapeutiques que l’anthropologie médicale et l’ethnopsychiatrie se plaisent à décrire[3]. Bien qu’associée intimement aux troubles du bien-être ou de la santé, il est soutenu ici que l’homéopathie, comme la plupart des pratiques non orthodoxes , n’est pas à proprement parler une médecine, mais un procédé de réassurance découlant d’un ensemble d’attitudes médicales et sociales, lui-même soutenu par diverses idéologies postindustrielles - entre autres l’orientalisme, l’antitechnocratisme, le consumérisme...

Assurer que l’homéopathie contemporaine est un rituel profane de conjuration n’est pas sans conséquences favorables. Ce recadrage permet de raconter l’évolution historique conduisant de la doctrine vitaliste de Hahnemann à une théorie savante profondément marquée par les mouvements écologico-spirituels des trente dernières années. Mais la voie sceptique permet surtout d’éviter le conflit bicentenaire puisqu’il devient possible de rapporter les réussites singulières de l’homéopathie sans devoir flirter avec les notions de preuves propres à la biomédecine.

Notes

[1] Laboratoires Boiron, Homéopathie - parce que la santé est en nous, publicité, [sans lieu], [sans date]
[2] Faure O., Conclusion : histoire de l’homéopathie et histoire de la santé, in Faure O. (dir.), Praticiens, Patients et Militants de l’Homéopathie (1800-1940), Lyon, Presses universitaires de Lyon / Éditions Boiron, 1992, p. 231
[3] par exemple Nathan T., Médecins et sorciers. Manifeste pour une psychopathologie scientifique, Le Plessis-Robinson, Synthélabo, 1995