Les temps ébréchés


Les temps ébréchés

Editions Grasset, Paris
Avril 2013
ISBN : 978-2-246-80501-4

Dans huit semaines, Blanche n’entendra plus rien. Victime d’une soudaine maladie dégénérative, elle refuse toutefois de céder à la panique ou au ressentiment. Pour se jouer du sort qui l’isole chaque jour davantage, elle part en quête de sons qu’elle emmagasine au gré des lieux qu’elle explore – boîte de nuit, centres commerciaux, opéra, piscine couverte, thé dansant, cathédrale, chantiers. Mais surtout, Blanche demande à un vieux pianiste argentin de lui apprendre les rudiments du solfège, et se met à collectionner avec ferveur des partitions en tous genres. Au travers de la musique, lue puis rêvée, Blanche parvient à sublimer ses douleurs et à apprivoiser le silence pour réorchestrer le monde à sa façon, avec un surplus d’harmonie.

Récit d’une métamorphose, Les temps ébréchés retrace avec pudeur et poésie le destin d’une femme qui questionne le silence pour résister à l’inéluctable et qui affronte le mal en composant la partition de sa nouvelle vie.

* * *

-> « De la musique avant toute chose - Le Neuchâtelois Thomas Sandoz publie “Les temps ébréchés”, magnifique roman de musique et de rouille » - Critique signée Julien Burri dans L’Hebdo du 4 avril 2013

-> « L’été indien de la musique » - Un glissement inéluctable fait la puissance de cet ouvrage court, acéré, profond comme le silence. - Critique signée Thierry Raboud dans La Liberté du 13/14 avril 2013

-> « [...] Thomas Sandoz mise sur l’élégance du dépouillement. [...] Car la plume de l’auteur, récompensé en 2011 par le Prix Schiller, se distingue par son approche de sujets mélancoliques qu’une pudeur sobre nimbe de poésie. » L’éveil au silence, d’Elisabeth Jobin, pour Viceversa Littérature, 27 août 2013

-> « L’auteur de Même en terre crée ici une délicate polyphonie de l’intime » - Article de Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps, 8 juin 2013

Début du texte

La bécarre

Quand elle revient à elle, la ville est déjà engourdie. Elle rassemble ses affaires, met de l’ordre dans l’atelier en soupente qu’elle occupe seule. Elle descend un étage d’escaliers et traverse les locaux déserts de l’imprimerie, pianote le code de sécurité de la porte de service. La serrure électrique cède après une brève stridulation. Sur la rue transversale, des flaques huileuses démultiplient le bariolage des candélabres et des enseignes au néon. Elle frissonne, remonte le col de son trench-coat, fait quelques pas sur le trottoir avant de s’immobiliser. L’hallali des klaxons du soir lui parvient légèrement étouffé. Elle masse du bout des doigts sa tempe droite, douloureuse, sans réussir à faire taire le grondement qui la bat de l’intérieur. Elle avise une pharmacie illuminée, puis renonce par crainte de devoir une nouvelle fois dresser la liste inconfortable de ses symptômes. Plus que huit semaines.

Elle rejoint le boulevard d’un pas incertain. Les bourrasques cavalcadent sur ses joues, elle sursaute pour un rien. Une torpeur vaporeuse la gagne. Penchée en avant, elle prend pour bouclier un couple d’amoureux jusqu’à ce qu’il bifurque brusquement vers une roulotte-sandwicherie maintenue à l’horizontale par des briques. Ce soir, même les odeurs de pain d’épices échappées de la guinguette de la Place des Réformateurs l’agressent. Elle se presse entre les rares passants et leurs parapluies déployés. Elle claque des dents maintenant, remène ses bras contre elle. Une demi-heure lui sera encore nécessaire pour retrouver son trois pièces cuisine où l’attendent deux moitiés froides d’un lit et des fragments du mobilier familial. Blanche en est la seule dépositaire depuis que son frère aîné est parti à Londres jouer à la haute finance. Le reste du clan a été anéanti par la maladie et l’infortune. Elle ne peut compter que sur elle-même. Pour atteindre la station du tram qui coule vers l’ouest de la ville, il lui faut à présent longer un parc public, mal fréquenté à cette heure. Une fois sur le quai, elle se laisse enivrer par les jeux d’ombres du ballast. Un jeune homme, parka verdâtre et lunettes d’aviateur remontées sur le front, sifflote pour attirer son attention. Elle voudrait croire que ses trente années la rendent désirable.

Blanche s’éveille fatiguée. Elle se douche, corrige la raie de ses cheveux si clairs, se choisit des habits chauds. Debout dans sa kitchenette, elle se contente d’un bol de Sensations du monde, noir et fruité, dans lequel elle trempe mécaniquement des biscottes. L’appétit manque, surtout de bon matin. La bruine matinale colle aux fenêtres. Le regard perdu sur les cicatrices de l’immeuble d’en face, elle s’inquiète de ce jour naissant. Derrière le parking, un camion à ordures secoue au-dessus de sa benne des containers en aluminium. Le boulevard au loin est déjà tumultueux et désordonné. Elle s’y plonge peu après pour rejoindre l’imprimerie, rue Verdaine, au coeur du vieux quartier. À cette heure, les bus sont bondés de battants rasés de près, costume parfaitement coupé, téléphone épousant déjà leur oreille. Elle ne s’est jamais sentie aussi menue, incomplète. Depuis la station du bout du lac, elle poursuit le trajet à pied, contourne une excroissance de l’omc, longe le quai sud. Les bateaux touristiques manoeuvrent malgré l’absence de clientèle. La haute saison touche à sa fin. Elle traverse le Rhône par un pont que les piétons partagent avec les cyclistes, retrouve les alignements de résidences centenaires. Arrivée dans la zone urbaine, elle s’engage dans une galerie marchande, puis profite des venelles qui serpentent entre les maisons locatives, les hôtels et les boutiques de luxe. Tout autour d’elle, la cité développe ses arômes douceâtres et ses mélodies que personne n’écoute.

[...]

Kurz und deutsch

[source : http://www.viceversaliteratur.ch/]

Blanche, eine junge Frau in ihren Dreissigern, verliert ihr Hörvermögen. In acht Wochen wird sie gar nichts mehr hören, wie ihr der Arzt vorhersagt. Die drohende Katastrophe weckt die Hauptperson, schärft ihre Aufmerksamkeit: «Die Aussicht auf ihre zukünftige Welt lässt sie die Spannweite ihrer Unkenntnis ermessen». Sie macht sich auf die Suche nach dem Ungreifbaren, indem sie in ihrem Innern Töne, Geräusche und Melodien speichert, die sie in ihre «Wattenwelt» mitnehmen will. Der

Neuenburger Thomas Sandoz, der für seinen vorherigen Roman Même en terre den Schiller-Preis erhielt, begleitet in Les Temps ébréchés den Werdegang seiner einsamen Figur – nüchtern und poetisch. (ej, Übers. rg)

http://www.viceversaliteratur.ch/review/6903

In breve in italiano

[source : http://www.viceversaletteratura.ch/ ]

La giovane Blanche, trentenne, soffre di una riduzione dell’acuità uditiva. Fra otto settimane, le spiega il medico, avrà completamente perso l’udito. La catastrofe incombente conduce la protagonista a un risveglio: «la prospettiva del suo mondo futuro le dà la misura della sua ignoranza». Si mette allora alla ricerca dell’immateriale, immagazzinando dentro di sé i suoni, i rumori, le melodie da portare nel suo «mondo tutto di cotone». In Les Temps ébréchés, l’autore neocastellano Thomas Sandoz, che ha ottenuto il premio Schiller per il suo romanzo precedente Même en terre, accompagna il cammino di un essere solitario con una scrittura sobria e poetica. (ej, trad. rg)

http://www.viceversaletteratura.ch/review/6903